Thème du colloque

Ce colloque s’inscrit dans une collaboration étroite et fructueuse avec le groupe de recherche sur les Mémoires d’Ancien Régime, qui a débuté en 2003 avec l’organisation et la publication alternée d’actes de colloque ou de journées d’études entre l’université de Nantes et celle de Tours, au travers des professeurs Jean Garapon, spécialiste de la littérature du XVIIè siècle, et Christian Zonza, tous les deux appartenant au laboratoire AMo (Antique et Moderne), EA 4276. Ces publications[1], qui ont permis de diffuser largement les recherches scientifiques de ce groupe de recherche, se fondent désormais sur une collaboration internationale avec la participation régulière de doctorants, d’universitaires français et étrangers (États-Unis, Israël, Canada, Hongrie, Italie etc.), attestent de la vitalité et de la continuité de ces recherches et constituent enfin des ouvrages de référence. En lien avec la problématique générale de l’autorité sur laquelle travaille l’équipe transversale « Interactions culturelles et discursives » (EA 6297) à laquelle est intégrée depuis 2011 l’équipe « Histoire des représentations »,  un volume  intitulé  Les Mémoires oubliés des XVIIè et XVIIIè siècles : à la conquête d’une nouvelle autorité paraîtra dans le dernier trimestre de l’année 2015 aux éditions Minerve. C’est également dans cette perspective de recherche sur l’autorité que s’inscrit ce colloque dont la première partie sera entièrement consacrée à ce thème.

    En effet, la relation de faits, dans les diverses formes qu’elle emprunte — récits historiques, Mémoires, journaux, correspondances —, de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle et même un peu au-delà, repose principalement sur l’autorité subjective de la mémoire, à laquelle la critique des sources n’apporte encore que des précisions ancillaires, chronologiques surtout. Pendant cette longue première modernité, les genres de l’écriture factuelle sont ainsi un lieu d’élaboration autoptique du passé, d’un passé vu et constaté, appartenant d’abord à la temporalité du témoin, avant de s’étirer puis de glisser dans le temps clos et défini de l’Histoire — d’où l’on peut pourtant l’extraire par la chaîne ininterrompue des témoignages et des souvenirs. Au croisement de l’histoire des idées, de l’épistémologie de l’histoire et de l’analyse littéraire, cette élaboration, cette composition du passé constitueront le thème de ce colloque qui se donne pour objet de réfléchir aux modalités et à la nature du passé — voire des passés — qu’elle constitue, aux fonctions assumées par le passé dans les récits et à ses types de manifestations. En effet, de 1550 aux premières décennies du XIXe siècle, le rapport au passé a profondément changé. L’écriture de l’histoire dans son ensemble témoigne en effet du passage d’un « régime d’historicité » (F. Hartog) à un autre, de l’humanisme privilégiant une histoire militaire et politique des grands hommes fondée sur l’autorité des modèles antiques et de ses exempla à une histoire de l’esprit humain, anthropologique et ouverte sur l’horizon du progrès ; elle souligne encore la mutation d’une temporalité cyclique, morale, chrétienne en une temporalité vectorielle, sociale et laïque. On cherchera donc à l’occasion de ce colloque, dans les récits historiques, les Mémoires, les journaux et les correspondances qui convoquent de différentes manières l’histoire privée et (ou) collective, à saisir les modes d’inscription et de fonctionnement du passé par des études certes en partie monographiques, mais aussi transversales, selon quelques axes principaux de réflexion :

1) L’autorité et l’identité du passé

Quel est le passé convoqué dans ces écrits ? S’agit-il d’un passé prestigieux lié aux grands hommes ou à quelques événements majeurs tels la Fronde, la Révolution française,  et dont l’autorité est imposée par le discours social ou bien d’un passé personnel, familial, dont l’autorité doit être justifiée ? Ce passé concerne-t-il un individu (événement traumatique, historique dans un destin individuel…), une famille (Les Condé… l’histoire généalogique dans les Mémoires…), une génération (la révocation de l’édit de Nantes chez les protestants…), une communauté, un peuple ?

2) La temporalité du passé

Quelles incidences la convocation d’un passé récent dans la correspondance ou les journaux, plus lointain parfois pour les Mémoires ou l’Histoire, voire d’un passé antique ou mythique, a-t-elle sur l’écriture, sur la scansion narrative et historique ? Produit-elle des ruptures abruptes, des effets de charnière, des transitions « molles » ou des systèmes de continuité entre deux règnes, deux époques ?

3) Les usages du passé

Quels sont les buts assignés au passé ainsi convoqué ? A-t-il une valeur démonstrative ou apologétique, morale ou politique, didactique ou anthropologique ? Revêt-il une fonction herméneutique ? Sert-il de repoussoir, de parangon, de paradigme ? Quel statut épistémologique donne-t-il à l’histoire, en particulier dans les essais sur l’écriture de l’histoire (Baudouin, Bodin, Le Moyne, Lenglet Dufresnoy, Mabillon, Mably, Mézeray, le père Rapin, Saint-Réal, Saint-Simon, Voltaire…) ?

    Ce colloque se veut interdisciplinaire, à l’instar des autres manifestations, et réunit des spécialistes de la littérature, de l’histoire et de la philosophie de l’histoire. Il couvre une large période (1550-1850) et permettra d’explorer un sujet nouveau, le croisement de l’histoire avec les écritures de soi (journaux, correspondances, Mémoires) dans la perspective d’une confrontation de la mémoire individuelle et de la mémoire collective.

    Les participants, au nombre de 26 (23 communications, dont une en binôme et 2 en ouverture et clôture du colloque) viendront de l’université François Rabelais, d’autres universités françaises, des ENS, de l’EHESS mais également d’universités étrangères : le Canada, plus massivement représenté avec 4 Canadiens dont Frédéric Charbonneau, co-organisateur du colloque (collaboration scientifique et financière), mais aussi les États-Unis, l’Italie, La Serbie, la Belgique. Le colloque rassemblera des chercheurs confirmés et internationalement reconnus mais aussi des doctorants ou de jeunes docteurs qui permettront d’ouvrir les débats sur les recherches en cours.

 



[1] - Mémoires des XVII° et XVIII° siècles : nouvelles tendances de la recherche, Cahiers d’histoire culturelle de l’université de Tours, Actes publiés sous la direction de Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, n°13,  2003

- L’idée de vérité dans les Mémoires d’Ancien Régime, Cahiers d’histoire culturelle de l’université de Tours, Actes publiés sous la direction de Jean Garapon et de Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, n°14, 2004

-La lettre et le récit de guerre dans les Mémoires d’Ancien Régime, Cahiers d’histoire culturelle de l’université de Tours, Actes publiés et édités par Jean Garapon, n°15, 2004

-L’idée d’opposition dans les Mémoires d’Ancien Régime, Cahiers d’histoire culturelle de l’université de Tours,  Actes publiés et édités par Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, n°16, 2004

- L’expression de l’inoubliable dans les Mémoires d’Ancien Régime, sous la direction de Jean Garapon, Éd. Cécile Defaut,  2 volumes, 2005

- Mémoires d’Etat et culture politique en France, du XVI° siècle à la Révolution, sous la direction de Jean Garapon, Éd. Cécile Defaut,  2007

-La réception des Mémoires d'Ancien Régime : discours historique, critique et littéraire, Textes réunis et publiés par Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, Le manuscrit, Recherche Université, Réseau Lumières, 2009

-Mémoires-journaux et journaux sous l'Ancien Régime, Textes réunis et publiés par Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, Le manuscrit, Recherche Université, Réseau Lumières, 2012

-Dialogues intérieurs. Les écrits des mémorialistes dans leurs Mémoires, sous la direction de Myriam Tsimbidy et Frédéric Charbonneau, Paris, Classiques Garnier, Rencontres, 115, 2015.

-Les mémorialistes d’Ancien Régime. À la découverte de l’étranger (XVIè -XIXè siècles), sous la direction de Jean Garapon, Éd. Cécile Defaut, 2015

 

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